Yellow Brick Town


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Au petit jadis, je choisissais aussi parfois, remon­tant à pied des bas quar­tiers jusqu’à mon apparte­ment du Plateau, de couper par l’intérieur du Cœur des sciences.

Si vous avez déjà emprunté ses couloirs, qui remontent de la station de métro Place-des-Arts jusqu’à la rue Sherbrooke, vous aurez sans doute remar­qué la présence, à intervalles réguliers, de pommes de douches. Elles seraient de premier secours en cas d’accident de laboratoire – une de ces petites urgences sanitaires qui font partie des risques calculés du labeur scientifique. Je suis content de n’avoir jamais vu quiconque s’en servir. J’aurais d’ailleurs été bien gêné d’expliquer, à un tel carrefour dramatique, ce que je faisais là, sans sarrau ni expérience à mener. Au gardien de sécu­ri­té qui m’interrogerait, j’expliquerai que je menais une Gedanken­experiment – une expérience de pensée – sur le mouvement perpétuel des villes... Il m’écouterait patiemment, puis me raccom­­pa­gne­rait dehors, en m’indiquant le chemin vers le pavillon des arts.

Qu’à cela ne tienne, je pourrais toujours y retour­ner en pensée. Le Cœur
des sciences continue de dessiner, le long de la pente Saint-Urbain, entre le boulevard de Maisonneuve et la rue Sherbrooke, un quadrilatère de cette brique jaune qui, à mes yeux, est le plus montréalais des parements. Il nous ramène aux dimensions cachées de la ville. C’est cette même brique jaune
qui ourle les parapets des pavillons

de l’Université de Montréal, élevés par Ernest Cormier

(1926-1943),


ou ces chefs-d’œuvre du sud-ouest, 
signés Ludger Lemieux, que sont le Marché Atwater

(1933)


et la Caserne 23

(1930).


Ces édifices, dont le faste moderne se permettait de rivaliser avec la prestance de nos mille clochers, ou celle des manoirs du complexe anglo-industriel local, comptent pour moi parmi les véritables « châteaux de Montréal », et je m’émeus à chaque fois que j’arrive à vue. Leur verna­cu­laire insti­tu­tionnel est un parti pris pour l’invention de notre pays incertain : la plupart de ces ouvrages, réalisés en période de crise écono­mi­que, affirment le rêve d’une civilisation québécoise, prête à prendre sa place dans la suite du monde. Dans presque tous les quartiers de la ville, on tombe, au détour d’une rue rési­den­tielle, sur une école ou une biblio­thèque qui brille des couleurs de cette brique, dont j’ai entendu dire qu’il ne restait plus un pavé au Québec. Pourtant, son rêve est loin d’être épuisé. Je ne manque jamais de m’émouvoir de ses appa­ritions : elle continue pour moi d’éclairer des voies de traverse, une route d’Oz locale vers une Yellow Brick Town au bout de laquelle l’émotion de la montréalité, de sa québé­citude, trouveraient enfin leur dû. Dorothée pourrait bien être notre tante à nous tous.